DIAGONALE / Les vipères ne tombent pas du ciel
Ce n'est pas une fiche de lecture, ce n'est pas un résumé, c'est un ensemble de morceaux choisis pour capter l'essence du propos de l'auteur, son ton, son rythme d'écriture. Une lecture en diagonale qui vous permettra de picorer le sujet et vous donnera peut-être envie de le lire en entier! Et je vous dis ce que j'en ai pensé à la fin ;)

4ème de couverture
"En 1976, une rumeur court la campagne française: dans le cadre des réintroductions d'espèces menacées, les écologistes organiseraient des "lâchers de vipères" par avion. Un fake, évidemment, qui est l'indice de l'hostilité naissante d'une partie de la population française contre ces militants environnementaux qui prétendent leur apprendre à "respecter la nature".
Ceci n'est pas un livre contre l'écologie, bien au contraire. C'est la tentative de comprendre le rejet dont elle est l'objet dans une partie des classes populaires. Et de le désamorcer. Car si celui-ci est instrumentalisé par l'extrême droite, il est d'abord une réaction aux inégalités grandissantes. Or, creusement des inégalités et destruction du vivant vont de pair. Ils se combattent d'un même mouvement. Plutôt que de stigmatiser les "comportement" des individus, l'écologie devrait s'attaquer aux grands systèmes polluants et injustes qui assoient la domination des plus riches, seul moyen d'aller vers une société égale et écologique."
Introduction
"De façon paradoxale et assez injuste, les militants écologistes qui n'ont jamais exercé le pouvoir au niveau national finissent par être tenus comptables d'une écologie technocratique dont ils n'ont pas su se démarquer."
Chap. 1 - La tentation technocratique
"C'est un point de vue que nous devrons garder à l'esprit au cours de notre enquête: tant que l'on n'ira pas chercher cet argent là où ,il est, c'est-à-dire dans les poches des hyper-riches et des groupes mondiaux, l'écologie se traduira par une pression financière sur les plus modestes, ce qui ne pourra que susciter le rejet."
"On l'avait déjà vu avec la crise des Gilets jaunes: le prix politique d'une mesure technocratique mal ajustée peut être terrible."
"Ainsi, au temps des balbutiements, faire de l'écologie, être écologiste, c'était d'abord interrompre le flux incessant et étourdissant de la société moderne. C'était le désir d'une vie plus simple, plus douce, avec un zeste de nostalgie rousseauiste et d'anarchisme antibureaucratique (...) Aujourd'hui, la première impression que le citoyen reçoit de l'écologie, c'est son apparence technocratique, avec tout ce que cela peut avoir d'hermétique, d'absurde, de rebutant."
"Il n'en reste pas moins vrai que l'écologie, sous sa forme bureaucratique, est objectivement décevante."
"Ayant renoncé à remettre en cause le modèle productivo-consumériste, l'écologie a progressivement dérivé. Son rêve de technologies conviviales a cédé la place à une planification de technologies-verrou. Cet éloignement a modifié la nature de son projet: d'utopique, le voici devenu essentiellement technocratique. Or, la technocratie représente le cœur du pouvoir moderne. En cessant d'être marginale, l'écologie a cessé d'être une puissance libératrice; elle est devenue un rouage du pouvoir."
"Les formations politiques ont l'habitude de se baptiser en fonction des valeurs qui les définissent, le socialisme pour le PS, la nation pour le RN, l'anticapitalisme pour le NOA, l'insoumission pour la FI...Les Ecologistes, eux, se revendiquent d'une science, d'un savoir scientifique et rationnel."
"L'écologie est-elle une science ou un projet politique? Il y a là un impensé qui n'a jamais été vraiment explicité. Or il se pourrait bien que, en même temps qu'une force, ce flou soit devenu un facteur de vulnérabilité."
"Dans le pacte républicain affirme-t-il [l'auteur parle ici du politiste Luc Rouban], la science était un instrument d'un progrès matériel qui apportait du mieux-être sans empiéter sur l'autonomie privée des individus. La crise environnementale a changé ce modèle. Désormais, la science est mobilisée par l'écologie pour enjoindre les citoyens à modifier leurs comportements privés. Dès lors, écrit-il, "la science n'est plus considérée comme un moyen d'action ou d'émancipation, mais comme une fabrique à contraintes (...) voire à de nouvelles servitudes et occasions pour le pouvoir de s'inviter dans la vie privée. quant à l'écologie, elle se réduit alors à une idéologie""
"Mais je cesse d'être d'accord avec les écolos scientistes quand leur véhémence naît d'un désaccord sur les solutions au réchauffement climatique. Celles-ci sont certes éclairées par la science, mais relèvent de la décision politique, donc du débat démocratique, toutes les voix doivent être entendues et il convient de se garder de l'argument d'autorité, dont l'effet d'intimidation se portera d'abord sur les franges les plus fragilisées de la société."
"Entendons-nous bien: je parle ici de l'écologie politique, non des sciences écologiques; je parle de la lutte contre le réchauffement climatique, non du savoir sur le réchauffement. La compétence universelle n'est pas scientifique, mais politique. Lorsque l'on croit en la démocratie et en l'égalité, le premier geste c'est de croire à l'intelligence de l'autre, de l'écouter, de ne jamais condescendre. Tout le monde doit pouvoir donner son avis sur les moyens de lutter contre le réchauffement climatique. Faire de l'écologie politique, ce n'est pas appliquer mécaniquement un savoir scientifique à une réalité sociale; c'est le confronter à des logiques politiques qui le précèdent et vont l'enrichir."
"Retenir le cap: l'écologie doit être un exercice démocratique."
Chap.2 - Anatomie des petits gestes
"Le "petit geste" est une ruse du capital, un "procédé qui sert à redistribuer les responsabilités, à charger les uns tout en dédouanant les autres."
Chap.3 - Habitus contre habitus
"Ces chiffres sont des bonnes nouvelles. Loin d'être écarté d'un revers de manche, le réchauffement climatique est pris très au sérieux par deux tiers des Français: c'est bien assez pour mener une politique nationale. Le même constat se dégage du baromètre annuel de l'Ademe, qui donne un niveau d'adhésion en faveur de l'environnement certes fluctuant en fonction de l'actualité, mais globalement soutenu."
""Les marchands de doute" et "les gens qui doutent", ce n'est pas la même chose. L'écologie doit lutter contre les premiers et ne pas regarder de haut les seconds."
"Ce que les classes populaires jouent quand elles refusent les injonctions environnementales, ce n'est pas une identifié fixée pour l'éternité à travers tel ou tel mode de vie. C'est plutôt la possibilité de continuer à vivre avec des budgets serrés, c'est la sauvegarde des espaces d'autonomie qu'elles ont réussi à ouvrir dans les contraintes du quotidien. Leur bataille n'est pas culturelle, elle est sociale. C'est une forme nouvelle de la bonne vieille lutte des classes."
"Dans cette lutte, les classes dominantes sont également à l'offensive, mais pas avec le même but. Hauts fonctionnaires, responsables politiques, cadres dirigeants, milieux d'affaires, éditorialistes de l'audiovisuel Bolloré et autres intellectuels de cour ont entrepris de mener contre l'écologie une véritable campagne de diffamation. Les ouvriers, les employés, les pauvres, Nicole, Dellarobia, s'en prennent à l'écologisme parce qu'ils sont acculés, le dos au mur. Les possédants, eux, fustigent les militants du climat par calcul économique. Tout ce qui restreint la possibilité de polluer réduit la possibilité de faire des profits. Ils défendent leurs intérêts. Ils ne vivent ni à Rodez, ni dans le Tennessee, mais dans les beaux quartiers. Pour eux, la question écologique est un obstacle çà leur pouvoir, une objection de mauvais goût qui vient troubler l'ordre paisible de leurs journées. A mille lieues de l'anti-écologisme "d'en bas", ils incarnent un anti-écologisme "d'en haut", dont il convient de bien cerner les spécificités, pour être certain de ne pas mélanger les deux."
"L'écoterrorisme n'est pas une notion juridique: le terme n'apparaît nulle part dans le Code pénal ou ailleurs dans la législation française. C'est une appellation politique."
"Un argument classique de l'écolophobie: le capitalisme serait rationnel et les écologistes de grands émotifs."
"Dans un groupe humain, la responsabilité de chacun se calcule à la mesure de la place sociales qu'il occupe. Celles des "gens qui doutent" est en général modeste; les "marchands de doute", eux, jouissent de situations sociales très élevées. Le jour venu, leur responsabilité sera donc très grande."
Chap.4 - Dominer pollue
"Trois inégalités, donc. trois moments, dans la chaîne causale du réchauffement, où l'individu précaire est lésé: parce qu'il émet moins de CO2; parce qu'il en subira plus douloureusement les conséquences; parce qu'on le met en première ligne des efforts à faire pour limiter l'emballement climatique alors qu'il n'en a pas les moyens."
"Réclamer un "écogeste" à quelqu'un qui est pieds et poings liés par la précarité, ce n'est pas sauver la planète, c'est ajouter de l'humiliation à l'humiliation. (...) Le sentiment d'impuissance est au cœur de l'expérience de la pauvreté: il serait bon, même avec les meilleures intentions du monde, de ne pas en ajouter une pesée."
"Ces disproportions donnent le tournis, mais se heurtent à une objection: oui, les 1% les plus riches émettent autant que les 50% les plus pauvres, "mais ce 1% n'émet que 10% des émissions totales", expliquaient des économistes dans une tribune au Monde. Même les 10 000 tonnes de Bernard Arnault ne pèsent rien face aux 644 millions de tonnes de CO2eq émises ou importées par la France en 2023. Obliger les milliardaires à adopter des modes de transport et des loisirs qui les ramènent au niveau d'émission de la moyenne des Français serait une satisfaction en termes de justice sociale, mais ne constituerait qu'une petite partie du chemin à parcourir en termes de bilan carbone. Voilà pourquoi il convient de regarder autrement la question du "qui pollue"."
"La "société de consommation" n'est pas un hédonisme individualiste et égoïste, ni une forme moderne du panem et circenses réclamée par une foule avide de s'abrutir. C'est un système organisé pour assurer la domination de la société par une minorité possédante. Une domination dont le CO2 qui s'accumule dans l'atmosphère n'est, pour ainsi dire, que la trace fumante, le smoking gun."
"La lutte des classes plutôt que l'apocalypse, voilà la grammaire qui rendre l'écologie populaire."
"Le problème de cette écologie de réforme n'est pas seulement qu'elle est inefficace, mais qu'elle est aussi et surtout contre-productive. A force de culpabiliser ceux qui ne peuvent y parvenir, elle a clivé le corps social et maintenant, on ne peut plus rien faire. L'écologie de réforme, faut d'avoir pris en compte les connaissances sur les fonctionnements de la société, a bloqué le système."
"Avoir en tête que toute mesure écologique est aussi une mesure de justice sociale, nous évitera d'alimenter le rejet de l'écologie."
Chap.5 - Que faire?
"De toute façon, dans L'Evénement Anthropocène, Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, ont tordu le cou au mythe de la "prise de conscience" en montrant que la connaissance des impacts sur la nature des activités industrielles est aussi ancienne que ces activités et n'a rien empêché."
"J'aimerais autant que l'écologie politique, avant de s'attaquer à l'Himalaya de l'imaginaire, parvienne déjà à franchir le col de la justice sociale. C'est moins grandiose, mais plus urgent."
"Pour le dire à gros traits: jusqu'à présent, la voie choisie par l'écologie politique a été de faire pression sur l'Etat pour le contraindre à prendre des mesures technocratiques, tout en s'adressant au grand public sur un registre moralisateur pour l'encourager à changer ses comportements. Les deux modus operandi, ont échoué, car une large partie de la population n'a tout simplement par les moyens de changer son mode de vie."
"Ces changements passeront par l'Etat car lui seul, au final, est en mesure de faire bouger les énormes organisations qui encadrent nos vies quotidiennes."
"Il y a là une mue historique à faire: l'écologie doit s'étatiser pour que l'Etat puisse s'écologiser."
"Qu'est-ce que l'écologie doit apprendre à l'Etat? A déplacer les lignes de pouvoir."
"La ligne de conduite n°1 (...) c'est d'en finir avec l'écologie des modes de vie et de s'attaquer directement aux systèmes sociotechniques dont les modes de vie ne sont qu'une conséquence."
"Deuxième ligne de conduite pour un programme écologique: toute mesure de protection écologique devra être simultanément une mesure de justice sociale. On pourrait appeler cela le principe d'égalité."
"Troisième ligne de conduite: le principe d'autonomie."
"Rien n'est donné, mais rien n'est inaccessible. C'est le propre des politiques d'émancipation, au sens rancièrien du terme: rendre possible demain ce qui aujourd'hui paraît impossible."
"Comment faire revenir la joie et le plaisir dans le discours écologique?"
"Ces nuances n'altèrent pas le constat général que le mode de production capitaliste, dont le principe revient toujours à "externaliser" ses coûts et notamment ses impacts sur les écosystèmes, est par structure pollueur. S'en débarrasser est donc hautement souhaitable."
"Surtout, nous savons bien que nous ne ferons pas tomber le capitalisme d'un seul coup. (...) L'empire romain n'est pas "tombé", il a décliné, saisi de secousses avant de muter, de se disloquer et enfin de se fondre dans le monde qui lui a succédé, comme une montage commence par perdre des blocs jusqu'à, d'érosion en effondrements, se faire sable dans le lit de la rivière."
"Eteignons un à un les moteurs qui font tourner le capitalisme."
Epilogue - "Est-ce que tu te dirais écolo?"
"On ne sortira pas de la voiture, mais on agira pour la rendre moins nombreuse, moins polluante et moins discriminante. Le capitalisme ne tombera pas demain, mais quelque-uns de ses fondements pourraient en être fragilisés. C'est à cette condition, je crois, que l'écologie égalitaire cessera d'apparaître aux classes populaires comme l'apanage de la bourgeoisie culturelle".
Qu'est-ce que j'en ai pensé?
Je pose tout de suite ce qui m'a déplu pour passer au reste parce que dans l'ensemble, j'ai vraiment apprécié la balade.
Ce qui ma fait froncé le museau, c'est, comme d'habitude, l'engouement pour la voiture électrique avec très peu de considération sur des questions essentielles qui ne semblent pas être posées à ce sujet: est-ce véritablement écologique de remplacer un parc de voitures qui fonctionnent par un tout neuf? Qu'en est-il de la gestion des terres rares et allons-nous devoir aller forer les océans pour répondre à la demande? Qu'en est-il du recyclage, en Europe, des batteries et autres composants? Comment répondre à la demande croissante en énergie électrique?? Est-ce que ce n'est pas le dernier joujou de l'industrie automobile pour relancer les ventes de véhicules?? Bref autant de questions essentielles qui sont laissées de côté avec ce diktat qui me dépasse du: "quand on est écolo, on est pour la voiture électrique". Hum... bof
Sinon, comme dit, j'ai passé un bon moment. La lecture est fluide, agréable, nourrie. On sent le journaliste derrière la plume, le moment est rythmé et illustré. J'y suis chaque fois retournée avec plaisir et je dois dire une certaine impatience.
Surtout, l'auteur se mouille et évite l'écueil du désormais fameux: 'yakafokon'. Il nous donne une grille d'analyse de la situation actuelle - on peut ne pas la partager, mais elle tient franchement la route - ET propose des pistes d'actions ou plutôt des vigilances, des directions concrètes pour faire bouger les lignes.
A titre personnel c'est certain, je vais emmener cette idée de l'écologie de savant méprisante qui se trompe de cible finalement. Essayer de sortir du jugement des personnes pour en effet, s'attaquer directement aux structures et cadres qui s'imposent aux gens, qui au bout du compte, font souvent davantage comme ils peuvent que comme ils veulent. En résumé: plus de bienveillance avec les gens, plus aucun aveuglement sur le haut de la pyramide! A bon entendeur...
Envie de lire ce livre? par ici ;-)